Nous recevons et publions volontiers cet article d’opinion de l’ami Istico Battistoni portant sur le lien entre le sport et le droit de s’exprimer en tant que citoyens responsables. Bruxelles, 21 juillet 2024
Lorsque le capitaine de l’équipe de France Kylian Mbappé dit qu’il fallait « faire le bon choix » face aux « idées qui divisent », à la veille du deuxième tour des législatives, pas tout le monde avait apprécié ses déclarations. Dans mon pays, beaucoup de gens pensaient qu’un joueur ne doit pas se mêler dans les affaires politiques, et que Mr Mbappé aurait dû se taire, d’autant plus qu’il représente l’équipe nationale.
L’entraineur de l’équipe transalpine ne pense pas même. Mr Deschamps a déclaré que ses joueurs sont tout d’abord des citoyens français, de quoi considérer que, comme tout citoyen, ils ont le droit à s’exprimer, surtout quand il s’agît de l’avenir de leur nation.
Le foot et la politique ont toujours était liés par un lien invisible et insidieux, et les hommes politiques ont souvent essayé d’en tirer profit. Mr Macron agitait les bras et les poings comme un vrai supporter lorsque la France a remporté la Coupe du monde en Russie, en 2018. D’autres ont carrément investi dans des clubs, en espérant ainsi améliorer son propre image. Personne, toutefois, n’a encore réussi à surpasser la force positive du portrait de notre président– partisan antifasciste, Mr Pertini, à la finale du Mondial de 1982, lorsque l’Italie battit l’Allemagne 3-1. À chaque but, il se levait et ouvrait ses bras comme s’il voulait embrasser le stade tout entier en riant comme un gamin, on aurait dit le Pape en personne. J’ai toujours été conscient de la manière dont le football peut apaiser les inquiétudes sociales et multiplier les sympathies pour le gouvernement en place, et dans le secret de mon cœur, j’ai failli me réjouir lorsque Roberto Baggio a raté le penalty qui donna la victoire au Brésil, lors de la finale de 1994, malgré que Mr Baggio, le joueur discret, l’humble bouddhiste, était mon préféré. A l’époque, Mr Berlusconi dirigeait son premier gouvernement populiste, et mon pays entier avait perdu la tête pour ce tycoon qui avait utilisé pendant des années et des années les chaînes de télévision pour dompter les mentalités des Italiens à son image et à sa ressemblance.
Il a donc eu raison Mr Mbappé de se mêler des affaires de son pays, et ceux qui ne le font pas, ne font qu’alimenter la conviction populaire que les joueurs sont stupides, superficiels et insensibles aux grandes questions politiques et sociales de leur temps. D’ailleurs, les Azzurri cette année n’ont pas brillé sur le terrain car ils n’avaient rien à dire, aucune passion à révéler, aucune émotion à trasmettre, aucun message à délivrer à la nation. Ils étaient bien coiffés, bien tatoués, mais ils ne savaient pas faire équipe, ils n’avaient pas le sourire sur le visage, ils n’avaient pas envie de prendre des risques, bref : ils ne couraient pas. Nous, les Italiens, nous avons appris à nous contenter de mener les affaires courants, nos affaires à nous et basta, et le gouvernement que nous nous retrouvons correspond parfaitement à notre courante banalité. Et à celle de nos joueurs bien aimés. Avez-vous entendu parler de quelque joueur italien qui s’est jamais prononcé contre des forces politiques illibérales ou populistes, ou contre des mesures anti-migrants, ou des politiques discriminatoires, par example ? Moi, je n’en ai pas entendu parler, bien que j’espère me tromper…
Mr Deschamps l’a bien dit, nous sommes tout d’abord des citoyens, et – peut-être, qui sait – il entendait dire qu’un joueur qui n’exerce pas ses droits et ses devoirs de citoyen, ne peut pas être un joueur complet, passioné, miroir vivant de la société à laquelle il appartient. Et que, si la nation risque de glisser vers la division, les discriminations et l’egoisme, eh bien, il faut qu’il parle, car sa voix vaut autant que celle d’un millier de ses concitoyens.
Lamine Yamal, quant à lui, n’a pas eu besoin de parler. Il lui a suffit de composer le numéro 304 avec ses doigts devant les caméras pour que son histoire parle à la nation de son pays d’adoption, l’Espagne. 304 est le code postal de Rocafonda, un quartier de la ville catalane de Mataró qui fut construit dans les années 1960 pour accueillir l’immigration en provenance des régions du sud de l’Espagne, telles que l’Andalousie et l’Estrémadure. Il est ensuite devenu le quartier des migrants venant d’Afrique, comme les parents de Mr Yamal, son père étant marocain et sa mère originaire de la Guinée-Équatoriale. L’histoire de sa famille en dit plus long que bien des discours. Sur le terrain de jeu de l’Euro 2024, les Espagnols couraient et s’amusaient, exprimaient une joie de vivre et d’être une nation en évolution qui a marqué le style avec lequel ils ils se sont imposés à leurs adversaires, match après match. Sur ses bottes, Mr Yamal porte deux petits drapeaux, ce sont ceux des pays d’origine de ses parents. Un acte culturel, social et politique aussi audacieux que les mots de Mr Mbappé.
Malheureusement, il y a d’autres qui chantent encore des chansons racistes bien qu’ils jouent dans des équipes nationales. C’est le cas des joueurs de l’Argentine, qui – après avoir remporté la Coupe d’Amérique en finale contre la Colombie, le 15 juillet dernier – ont été surpris en train de crier à tue-tête: « Ils jouent pour la France, mais ils viennent d’Angola ». Bof, chacun a les joueurs qu’ils se mérite, j’oserais dire, le pays de Mr Milei des aboyeurs protoracistes, le pays de Mme Le Pen des joeurs qui défendent le fondements républicains de la France, tout en ayant des parents venus du monde entier.
Cela dit, le football n’est qu’un jeu, n’est-ce pas ?
Istico Battistoni